20 février 2023

Théâtre en VSD, quel bilan?

En 2020, alors que les portes des salles de spectacle demeuraient obstinément closes, Théâtres associés Inc (TAI) a mis sur pied un projet de de webdiffusion de spectacles grâce au soutien financier du programme Ambition numérique du ministère de la Culture et des Communications (MCCQ).

 

L’objectif: créer et diffuser des spectacles en vidéo sur demande (VSD), pour diversifier le public du théâtre, compléter l’expérience en salle, assurer des revenus aux artistes et faire rayonner les œuvres.

 

Le moyen: produire une trousse d’outils pour guider les théâtres dans leurs expérimentations et faciliter la mise en commun des connaissances. Parmi ces outils, on retrouve un module de webdiffusion permettant aux théâtres d’intégrer à même leur site web un visionneur de vidéos associé à une interface de paiement; un guide sur les bonnes pratiques pour assurer la découvrabilité des contenus sur le web ainsi qu’un générateur de métadonnées descriptives; des lignes directrices pour orienter la négociation de la rémunération des artistes, et des constats sur le potentiel d’acquisition de clientèle et sur la rentabilité des projets webdiffusés.

 

Rester connecté·e·s

 

Si, à court terme, la webdifffusion a permis aux théâtres de maintenir un lien actif avec leurs publics pendant leur fermeture, trois ans plus tard, quel est le bilan? La bonne nouvelle, c’est que projet, piloté par Duceppe pour les Théâtres Associés (TAI), a permis à plusieurs institutions théâtrales* de réaliser leurs premières expériences de webdiffusion pour répondre rapidement à la demande grandissante pour du théâtre à la maison en temps de confinement.

 

Des captations originales et sophistiquées, parfaitement adaptées à la diffusion en ligne, ont vu le jour. La captation de Manuel de la vie sauvage, signée par la réalisatrice Anne Émond, a même remporté un prix Gémeaux. Et surtout, le public était effectivement au rendez-vous avec plus de 35 000 visionnements, dont plus du tiers (37%) ont été effectués par des utilisateur·trice·s résidents à plus de 25 km du théâtre. De plus, l’expérience a démontré qu’il y a un réel potentiel de diversification de publics avec ce mode de diffusion: 45% des client·e·s virtuel·le·s n’avaient fréquenté aucun théâtre en présentiel durant les deux saisons précédant la pandémie. Cela, sans pour autant créer une concurrence directe entre les théâtres, puisque 85% du public virtuel n’a consulté l’offre en ligne que d’un seul théâtre.

 

Un public comblé

 

«Très bien fait. Superbe réalisation. C’était encore plus organique qu’une captation traditionnelle. Sans dénaturer l’aspect théâtral de la pièce, les prises de vue nous offraient toujours des valeurs de plan qui mettaient en valeur les performances des acteurs.»

 

«Nous avons beaucoup aimé le spectacle. Excellent jeu de la part des comédiens! Belle qualité d’image! J’aime particulièrement le format webdiffusion car ça nous permet, à nous qui habitons en région, de visionner des spectacles qui autrement pourrait ne pas être disponible chez nous. De plus, ce format permet au spectateur un point de vue différent de celui qu’on a en salle. Le prix très abordable nous a permis de passer un agréable moment familial. Bref, satisfaction totale!»

 

«J’ai vu le spectacle en présentiel et je suis agréablement surprise du résultat de la captation. J’ai l’impression que ça n’a pas dénaturé la pièce, mais ça lui a donné un autre angle, un autre souffle.»

 

»J’ai beaucoup aimé le spectacle. Je demeure à Vancouver et la webdiffusion me permet d’avoir accès à des pièces auxquelles je n’aurait pas accès autrement. Mais ça ne remplace pas l’expérience d’assister à une pièce en personne!»

 

«Nous avons adoré. Production de grande qualité, avec néanmoins la nette impression d’être au théâtre. Vivement qu’il y ait d’autres pièces en VSD!»

 

La rentabilité: un défi de taille

 

Mais l’enjeu majeur demeure la rentabilité, qui est loin d’être au rendez-vous. Le coût par client est exorbitant et l’opération, grandement déficitaire: en moyenne, le coût de production d’un projet virtuel, par spectateur·trice, est presque 12 fois le prix de vente du billet virtuel.

 

Le grand public pourrait être étonné d’apprendre que pour les spectacles de théâtre conçus pour la scène, la production de captations de qualité cinématographique génère des dépenses supplémentaires disproportionnées, pouvant aller jusqu’à 50% du coût de la production scénique.

 

Ainsi, en maintenant un prix de visionnement relativement bas (en moyenne 17$) pour être aligné avec les attentes du marché de la vidéo sur demande, il serait nécessaire de générer un volume de ventes de 3 à 10 fois plus élevé pour rentabiliser de tels projets, selon l’ampleur de la réalisation. Pour le moment, la diffusion des captations sur les sites individuels des théâtres n’offre pas une portée suffisante pour atteindre cet objectif: les théâtres n’ont pas les ressources nécessaires pour soutenir les efforts de promotion sur un large territoire et une longue fenêtre de diffusion, ni pour assurer la découvrabilité de leurs contenus dans un environnement où la concurrence des plateformes de streaming est féroce.

 

Quelles perspectives d’avenir?

 

Outre l’enjeu du financement et de la rentabilité, les théâtres associés ont constaté que l’intégration de la webdiffusion dans leur modèle d’affaires amène un lot de défis insoupçonnés. Ainsi, malgré la relative facilité d’utilisation de la plateforme de visionnement, la demande de soutien technique de la part de la clientèle a été considérable, monopolisant les équipes et engendrant des coûts supplémentaires. Autres vastes chantiers: pour les gestionnaires, la négociation d’ententes de rémunération équitables avec les différentes associations syndicales et, pour les directions techniques, la gestion de la collaboration entre équipe scène et équipe vidéo sur le terrain. Le tout, bien sûr, à l’ombre des GAFAM et de leur omniprésence en ligne, soutenue par une puissante mécanique de mise en marché. La diffusion de spectacles de théâtre en différé sur le web permet de cultiver l’appétit du public pour le théâtre, de prolonger la vie des spectacles, de développer de nouveaux publics et d’assurer aux spectateur·trice·s éloigné·e·s un accès aux meilleures productions théâtrales, mais le modèle d’affaires hybride présentiel/virtuel pour les producteurs et les diffuseurs de spectacles, lui, reste encore à bâtir.

 

Documentation à partager

 

Théâtres associés (TAI):

 

Collaborateur·trice·s du projet